Embouteillages abidjanais vus à travers les lunettes de quelques paradoxes scientifiques


Si vous êtes un observateur comme moi, vous aurez remarqué que la diversification de l’offre routière ne rend pas forcément les temps de trajet plus courts. 

Voilà maintenant deux (02) ans que j’emprunte régulièrement quotidiennement le boulevard Latrille. Les récents travaux d’élargissement de cette infrastructure faits par Daiwo ont été suivi d’une densification de la circulation sur ce tronçon. Bien qu’il soit évident que des améliorations ont été apportées, surtout en  ce qui concerne la qualité de roulement, les bouchons ont augmenté mitigeant ainsi la performance globale de l’infrastructure. Paradoxe!!!

Tragédie des biens communs et Bouchons sur le Latrille

Ce phénomène, aussi curieux soit-il, n’est pas en réalité une singularité, il est même  connus sous le nom prosaïque de la tragédie des biens communs. La tragédie des biens communs fut formulée la première fois par le biologiste américain Garett Hardin (1968) pour décrire un phénomène collectif de surexploitation d'une ressource commune survenant dans une situation de compétition pour l'accès à une ressource limitée face à laquelle la stratégie rationnelle prise individuellement aboutit à un résultat perdant pour tous. le terme de ‘ressource commune’ désigne un système de ressource suffisamment important pour qu’il soit coûteux (mais pas impossible) d’exclure ses bénéficiaires potentiels de l’accès aux bénéfices liés à son utilisation, écrivit Elinor Olstrom, prix Nobel d’économie 2009. Le cas de l’infrastructure routière se prête bien à cette definition et cette situation dans la mesure où:

  • la route est collective car aucun particulier ne saurait s’en construire une à lui seul; 
  • la route est limitée par sa capacité qui est finie (le nombre de véhicule qu’elle peut accueillir sur ses voies par rapport à sa géométrie), c’est là le problème à l’origine de l’Economie des Transports.
  • chaque portion de route est soumise à compétition entre les automobilistes (regardez seulement comment conduisent les Gbakaman de Babi!).
  • sur la route chaque automobiliste veut minimiser son temps personnel de parcours ce qui conduit les automobilistes à des manoeuvres individuelles qui aboutissent généralement aux embouteillages d’où la perte de temps pour tous!

Pour reprendre l’exemple du Latrille, avant l’agrandissement de la route, les automobilistes voulant se rendre aux 2 Plateaux avaient deux choix de même qualité ( qualité de roulement pareil: voie avec des creux :) ; et temps de trajets similaires : des bouchons de durée quasi-équivalentes). Ainsi, les automobilistes guidés par la rationalité individuelle, se répartissaient de façon uniforme sur les deux alternatives. Mais suite à l’amélioration de la performance de la voirie du Latrille, on assiste depuis lors un basculement préférentiel des automobilistes sur celle-ci et par conséquent à plus de bouchons rendant presque obligatoire la présence des officiers de régulation de la circulation sur ce tronçon. Du coup, on comprend bien mieux cette situation dès lors qu’on appréhende la route comme un bien commun.

C’est fort de ce retour d’expérience que pour les économistes des transport sérieux, aujourd’hui les recommandations sont faites pour des solutions qualifies de report modal.

Embouteillage sur l’ « ancienne route » de Yopougon et Paradoxe de Braess


Examinons à present un autre paradoxe qui est corrélé au précédent appelé le Paradoxe de Braess. Dietrich Braess est un Mathématicien allemand qui a mis en évidence le phénomène paradoxal en examinant l’apparition d’embouteillages monstres dans la ville de Stuttgart suite à d’importants travaux d’amélioration du réseau routier de la ville.

Le paradoxe de Braess stipule que l'ajout d'une nouvelle route dans un réseau routier peut réduire la performance globale, lorsque les entités se déplaçant choisissent leur route individuellement. 

La performance vis-à-vis d’une voie correspond à la qualité de celle-ci et de la densité de flux qu’on indirectement appréhender à travers le temps de trajet.



Considérons le réseau décrit dans le diagramme ci-dessus, sur lequel 4000 conducteurs souhaitent passer du point Start au point End. Sur ce dessin quatre (04) voies considérées strictement égales en longueur, sont figurées : Start-A, A-End, Start-B et enfin B-End.

Sur les voies Start-A et B-End, le temps de trajet est égal au nombre de voyageurs (T) divisé par 100, et sur la voie Start-B et la voie A-End, il est constant à 45 minutes. Si la voie en pointillé n'existe pas (le réseau possède alors 4 voies), le temps pour effectuer Start-A-End avec a véhicules devrait être 45+a/100. Et le temps pour effectuer Start-B-End avec b véhicules devrait être 45+b/100.
Comme il y a 4000 conducteurs, le fait que a+b=4000 peut être utilisé pour en déduire que a=b=2000 quand le système est à l'équilibre. Par conséquent, chaque trajet dure 45+2000/100=65 minutes.

Maintenant, ajoutons l'axe (AB) représentée par la ligne en pointillé, avec un temps de parcours tellement court qu'il en est négligeable, c'est-à-dire qu'il compte 0. Dans cette situation, tous les conducteurs vont choisir le chemin Start-A plutôt que Start-B, car Start-A prendra seulement  T/100=4000/100= 40 minutes au pire, alors que Start-B prendra à coup sûr 45 minutes.

Une fois au point A, tout conducteur rationnel choisira la route "gratuite" vers B, et de là continuera vers End, car là encore, A-End prendra à coup sûr 45 minutes alors que A-B-End prendra au plus 0+4000/100= 40 minutes. 

Le temps de trajet de chaque conducteur est donc de 4000/100 + 4000/100 = 80 minutes, un temps supérieur aux 65 minutes requises si la ligne rapide A-B n'existait pas. 

Aucun conducteur n'a intérêt à changer, car les deux routes initiales (Start-A-End et Start-B-End) prennent maintenant toutes les deux 85 minutes. 

Si tous les conducteurs se mettaient d'accord pour ne pas utiliser la liaison A-B, chacun en bénéficierait, par une réduction de son trajet de 15 minutes.

Toutefois, parce qu'un conducteur individuel aura toujours intérêt à prendre la voie A-B, la distribution socialement optimale n'est pas stable, et le paradoxe de Braess se produit: une extension du réseau routier a entraîné une redistribution du réseau qui résulte en des temps de trajet plus longs.

Le paradoxe de Braess explique aussi pourquoi quand on est à Yopougon sable, la voie dite « ancienne route », contiguë à l’autoroute du Nord, est systématiquement bouchée par les automobilistes chaque fois que l’autoroute connaît un embouteillage prolongé. Je vous laisse déviner comment cette fois-ci.



Ici se croisent le Ingénierie civile à travers l’économie des transports, la théorie des jeux, la théorie des graphes et l’économie des transports se rejoignent.


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