Pour une production locale du clinker

Légende: Chaîne complète de production du ciment.

Dans un de mes articles précédents (pourquoi le prix du ciment reste-t-il élévé?), je faisais remarquer que le prix élevé du ciment en Côte d’ivoire résulte de la nature des usines locales consistant uniquement en des unités de broyage du clinker avec le gypse pour donner le ciment. 
Dans le présent article, je tente une ébauche de solution en mettant en exergue le potentiel dont dispose la Côte d'Ivoire pour une production locale du clinker qui déboucherait sur une baisse du prix du ciment.

Dans la structure de prix du ciment, le coût du clinker détermine à lui seul presque le tiers (1/3) du prix de revient du ciment. Ce caractère décisif du clinker dans le prix du ciment découle de l'importance des ressources qui sont mobilisées pour la production de ce matériau.
Le clinker servant à la production du ciment en Côte d'ivoire est importé. Cette situation rend irrationnel pour les entrepreneurs, l'idée de réduire de réduire le coût du ciment en spéculant sur le clinker. Pour spéculer à la baisse, il leur faudrait pouvoir optimiser le coût de production du clinker grâce à la marge de manœuvre qu'offre toute production par soi-même et pour soi-même.
Produire localement le clinker devient donc une problématique cruciale à résoudre. Du coup, il devient pertinent de se demander: Est-ce possible de créer une industrie complètement locale du ciment ?

Il relève du domaine commun aujourd’hui que pour créer une industrie il faut réunir deux (02) conditions: la matière première et l'énergie. L’industrie cimentière ne déroge pas à la règle.

Chaîne de production du ciment

Le processus de production du ciment peut être scindé en deux étapes principales: la production du clinker et la fabrication du ciment.

  • la production du clinker

Elle se fait par cuisson de matières premières (calcaire, argile, et éventuellement cendres volantes, pouzzolanes etc...) dans de hauts fourneaux à une température comprise entre 1400 et 1500ºC. Ces hautes températures sont atteintes par utilisation de combustibles tels que la houille, le pétrole et ses dérivées, le gaz etc… La consommation calorifique est comprise entre 3.000 et 8.000 Mégajoulej/tonne de clinker. On en déduit que pour produire une (01) tonne de clinker, il faut brûler entre :
    •  90 à 240 kg de charbon;
    • 79 à 210 kg de gaz naturel;
    •  70 à 186 kg de diesel
  • la fabrication du ciment
Dans cette étape, le clinker est co-broyé avec du gypse dans un broyeur rotatif alimenté à l’électricité. On estime qu’une consommation de 70 à 160 kwh d’électricité est nécessaire pour obtenir une (01) tonne de ciment.
On déduit que les facteurs conditionnant une production totalement locale du ciment sont :
    • la présence de gisements de calcaire et d’argile
    • la disponibilité de matières combustibles telles que le pétrole, le charbon ou le gaz
    • la disponibilité de l'énergie électrique
La Côte d’ivoire dispose t-elle de ses ressources?

Matières premières du clinker


Le clinker, principal constituant du ciment, est obtenu à partir d’un mélange de calcaire et d’argile et d’oxyde de fer éventuels.

 Le calcaire est une roche sédimentaire formée à partir de la décomposition de coquillages et de squelettes de micro-algues et animaux marins. De ce fait, on le retrouve principalement dans les zones marines anciennes ou les zones lacustres le long des côtes à des profondeurs comprises entre 0 et 60 m. En Côte d’Ivoire, on a trouvé des dépôts de calcaire le long de la bordure lagunaire entre Fresco et la frontière avec le Ghana, c’est-à-dire le long du bassin sédimentaire ivoirien. Ce calcaire se présente sous forme d’amas coquilliers dénommés faluns. Une étude menée par la SODEMI aurait permis d’estimer les réserves de calcaires côtiers à 310.000 tonnes. Cette quantité semble faible comparativement à ceux exploitées dans les pays producteurs de clinker.
Par contre, on sait également que du calcaire de type industriel a été exploité à Eboco près de la lagune Aby durant la période d’occupation coloniale. De ce fait il n'est pas exclu que de nouvelles prospections menées dans l’ensemble des zones lacustres et avec pour point de départ la ville d’Eboco permettent de découvrir des réserves à potentiel industriel. En tout état de cause, on retiendra que la Côte d’Ivoire dispose d’un potentiel géologique qui doit être mieux étudié en ce qui concerne le calcaire.
Par ailleurs, quand bien même les réserves de calcaire seraient minimes à l’issue des prospections, la proximité géographique avec les territoires possédant de plus grosses réserves tels que le Sénégal ou la RDC facilite l’importation du calcaire pour produire du clinker.

Si le potentiel en calcaire est réel mais les réserves restant à être formellement identifiées, l’argile lui ne fait pas défaut à la Côte d’Ivoire où la présence de l’argile y est historiquement attestée. Ce matériau a servi à l’essor de la micro-industrie potière depuis les temps les plus reculés à nos jours. Encore aujourd’hui, les centres de production traditionnelle de poteries constitués en villages (tels que le village des potiers de Tanou Sakassou, les villages de potiers de Katiola ou encore le fameux village de potières de Montiamo dans l’est du pays) confectionnent et distribuent les poteries de très bonne qualité.
Par ailleurs, les résultats des prospections réalisées par la SODEMI entre 1963 et 1970 ont permis d’identifier d’énormes réserves d’argile qui restent faiblement exploitées :
  • près de Grand-bassam, on a découvert des réserves estimées à 1,7 millions de m3
  • le plateau de Gounioubé situé à 15 km au nord-ouest d’abidjan renferme un gite évalué à 3,4 millions m3
  • l’examen des plateaux du Banco et d’Andokoua a relevé l’existence de réserves avoisinant le million de m3 chacun
On l’aura remarqué, toutes les prospections menées à ce jour se sont limitées à la région d’Abidjan. Or nous sommes persuadés que le nord, le centre et l’est du pays en tant que foyers historiques de production de poterie renferment des dépôts qui n’attendent que d'être découvert.

En somme sur la question des matières premières telles que le calcaire et l’argile, la Côte d’Ivoire dispose d’un potentiel géologique appréciable qui méritent l’attention des industriels locaux. De plus la position géographique du pays et ses ports sont également des atouts non-négligeables qui doivent être mis en valeur.

Potentiel énergétique de la Côte d’Ivoire


Sans énergies il ne peut y avoir d’industries car l'énergie est d’essence vitale à la production d'échelle. En conséquence les industries s’implantent toujours là où il existe une source d'énergie viable. A ce jour, les ressources de la Côte d’Ivoire sont constitués principalement par le pétrole et le gaz naturel. A ceci s’ajoute la biomasse issue de l’exploitation des produits agricoles de rentes.

Bien que les prospections quant à la présence de gisement pétrolier dans le bassin sédimentaire furent concluantes dès la période d’occupation coloniale, l’exploitation pétrolière n’a démarré qu’en 1980. On aujourd’hui estime que 12,4 millions de barils de pétrole ont été produit durant l’année 2017.  L'actuel gouvernement entend lancer des nouveaux chantiers de prospection qui pourraient aboutir à la découverte de nouveaux champs pétroliers et gaziers. Une industrie du clinker serait une cliente idéale de ce pétrole qui servirait à la production rendant ainsi plus dynamique l'économie intérieure.

Vers des combustibles alternatifs


Un indicateur pertinent du rôle clé que jouera la biomasse dans la production en Côte d’Ivoire est donné en les projets de création de centrale de production d'électricité par biomasse.  Faute d'audace entrepreneuriale, la biomasse importante générée par le pré-traitement des cultures de rente ( le cacao, le café, le palmiers à huile etc…) a pendant longtemps été gaspillée. Elle va désormais être valorisée en tant que source d'énergie renouvelable et peut très bien servir à produire la chaleur nécessaire à la clinkérisation. Un tel projet d'usine à clinker chauffée totalement, au mieux, ou en partie, au pire, à la biomasse mettrait l'Afrique et particulièrement la Côte d’Ivoire à l'avant-garde de l'innovation en procédé industriel.

Pour ce qui est de l'énergie électrique, servant principalement à la fabrication du mélange ciment, je m'abstiendrai des détails dans la mesure où les unités de production de ciment sont déjà en pleine installation témoignant qu'un problème de rareté en électricité pour les usines ne se pose pas.

En résumé, la Côte d’Ivoire dispose d'un potentiel avéré pour la production de clinker et du ciment. Ce potentiel se décline en réserves naturelles de matières premières abondantes pour l'argile, réserves à augmenter pour le calcaire, et en ressources énergétiques telles que le pétrole, le gaz, la biomasse. Ces atouts restent à être utilisés au profit de l'économie locale. L'industrie du ciment étant un acteur clé de l'économie moderne basée sur la production, il importe que des entrepreneurs locaux de préférence et le gouvernement s'y intéresse.


Sources et bibliographies:







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1 commentaire:

  1. Bonjour Cher Monsieur
    Pour la production de clinker locale, la seule ressource qui manque est le calcaire de qualité et en quantité suffisante.
    C'est maintenant que la vive concurrence a obligé les cimentiers à entreprendre des recherches profondes pour toutes les matières locales susceptibles d'entrer dans la composition du ciment, c'est dommage qu'on ait perdu autant de devises avant d'agir. On nous avait même reprocher dans le temps de vouloir introduire des ciments de mauvaise qualité quand nous avions proposé les ciments composés type CPJ et de nouvelles classes de résistances. Cependant,les perspectives ne sont pas très reluisantes pour le calcaire
    La solution d'importer le calcaire n'est pas pas du tout économiquement viable: Déjà,il vaut mieux transporter un produit transformé que sa MP. Les moyens de transport qui pourraient être envisagés sont inexistants et en fin la production de clinker n'est rentable que quand l'usine et la carrière sont dans un rayon de km

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